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La cité des ducs dormait profondément au cœur d'une nuit obscure du mois de juin. Quelques heures plus tard, une sonnerie de réveil retentit dans une chambre extrêmement mal rangée. Là régnait le désordre le plus complet et les livres côtoyaient les habits sales. La sonnerie poursuivit son infernal travail : réveiller le jeune adolescent qui se reposait paisiblement sur un lit passablement défoncé. Il était grand, mince, presque fluet et avait un torse petit en comparaison de ses membres longs et fins. Il avait un visage délicat, deux yeux bleu-vert en amande, de courts cheveux blonds pâles, une peau blanche presque transparente, un nez aquilin et une petite bouche carminée. L'adolescent, qui s'appelait Hank, finit par se réveiller et entreprit de s'habiller correctement. Mais cette entreprise se révélant trop fastidieuse à son goût, il rassembla les vêtements épars qui végétaient aux quatre coins de sa chambre pour les enfiler. Le résultat était peu convaincant : il portait une chemise écossaise made in Taiwan, un pantalon orange et couvert de taches de peinture et des chaussures bleues qui tenaient grâce à des lacets gris complètement effilochés.
Il descendit lentement les escaliers avec un air pataud et versa des flocons de maïs dans un bol de lait froid datant de la veille. Après avoir mangé et fait une rapide toilette, il partit au collège avec cinq bonnes minutes de retard. La rue grise et terne était sans vie, pensa-t-il en regardant rouler sans but les voitures. Il arriva près de la porte du collège, cette porte en apparence si accueillante et si chaleureuse. Mais les apparences sont souvent trompeuses et Hank savait bien que derrière cette porte se cachaient en réalité des heures de cours et des notes par centaines. Soudain, un détail inhabituel attira son attention. Un vieil homme en noir était accoudé à la barrière en fer-blanc du collège. Cela l'étonna car le reste du temps, les personnes âgées ne s'attardaient pas aux environs du collège. Il s'en approcha lentement, comme un félin traquant sa proie. Le vieillard resta impassible, comme s'il ne le voyait pas, et d'aussi près, Hank constata qu'il avait à la place du visage un masque opaque et uniformément gris. Ce masque et ce vieillard immobile l'effrayèrent et il décida de faire demi-tour mais ses jambes refusèrent de lui obéir, comme si elles étaient faites de glace. En baissant le regard, il s'aperçut que c'était effectivement le cas. Tout d'un coup, le vieillard se leva et des tentacules verdâtres et gélatineuses sortirent des manches de sa robe et saisirent le pauvre Hank, complètement terrifié. Après un long silence, un immense éclair happa les deux formes enlacées.
Hank se réveilla dans une sorte de cave sombre et lugubre. Il était prostré sur un sol dur et froid et ses muscles engourdis protestèrent énergiquement quand il essaya de relever la tête. Il se sentait quelque peu désemparé et cela était compréhensible. Hank pensait passer une journée tranquille au collège, écouter des cours barbants et s'amuser avec ses copains. Mais il avait rencontré cet étrange vieillard et il se retrouvait là. Soudain, une lumière inonda la pièce qui se révéla relativement petite. Dans le rectangle de lumière situé à l'emplacement présumé de la porte, la silhouette du vieil homme se découpa clairement et Hank poussa un long cri inhumain. Mais comme il ne pouvait pas fuir, il se résolut à rester immobile. Une voix s'éleva dans la pièce :
-Bonjour, je suis Arkhas et toi Hank. Les présentations étant faites, passons aux choses sérieuses. Je t'ai enlevé de façon un peu cavalière et je te prie de bien vouloir m'en excuser mais la nécessité nous pousse tous à faire des choses bien étranges et pour moi, tu n'es pas seulement nécessaire mais bien vital. Je vais d'abord t'expliquer qui je suis et tu comprendras mieux la situation. Comme je te l'ai déjà dit, je m'appelle Arkhas et je suis un prêtre de Lum. Moi et mon ordre, nous luttons pour l'épanouissement de la lumière, mais au sens figuré bien sûr. Pour la lumière de l'âme ou encore celle de la vérité. Mais depuis quelques années, le mal, donc l'obscurité, se répand plus vite et d'après les douze prophéties d'Aziel, le fondateur de notre ordre, seul un jeune homme peut nous sauver, conclut-il d'une voix forte.
Hank, hébété, n'arriva pas à formuler une réponse. La porte se referma et la lumière disparut avec elle. Pour des prêtres de la lumière, il faisait bien sombre dans leur cellule, songea Hank. Le temps passa et soudain, après une petite étincelle de lumière orangée, une écuelle en plastique rouge chargée de nourriture apparut devant lui et il s'aperçut qu'il avait très faim et qu'il mangerait volontiers. Après son copieux repas, il s'endormit. À son réveil, la porte s'ouvrit et Arkhas entra, vêtu de sa sempiternelle robe noire. Il prit Hank par la main et ensemble, ils sortirent de la cellule pour aller dans une grande pièce dont le plafond, le plancher et les murs étaient entièrement bleus. Là, d'immenses tables en chêne blanc s'étendaient à perte de vue. Ils continuèrent de marcher jusqu'à arriver devant une porte noire et massive. Arkhas marmonna quelques mots inintelligibles et la porte disparut. Lorsqu'ils furent passés derrière, elle réapparut comme par enchantement. Ils étaient maintenant dans une pièce étrange. Chaque millimètre cube en était occupé par une lumière aveuglante mais curieusement, ils n'en étaient pas incommodés. Arkhas se dirigea vers le centre de la pièce où se dressait un immense livre rouge et or. Hank lut sur la tranche : *Les douze prophéties d'Aziel par Estavo Crundo|$. Arkhas reprit la parole :
-Estavo Crundo reste le plus grand prêtre de notre ordre. Il a donné aux hommes le feu et la chaleur. Alors Aziel le lumineux, l'archange fondateur, lui est apparu. Il a allumé les douze feux fondateurs et a jeté dans chacun une poudre verte. Estavo a interprété les signes de la fumée et les a retranscrits dans ce livre. Écoute bien la douzième prophétie : «contre l'empire du mal grandissant, un enfant se lèvera et de son innocence et de sa pureté naîtront la lumière.» Je pense que tu es cet enfant et je vais donc t'initier aux mystères de la prêtrise, poursuivit Arkhas. Nous allons commencer par aller dans le jardin de lumière et d'argent.
Ils marchèrent pendant cinq minutes dans cet étrange bâtiment, jusqu'à arriver devant un large portail en fer rouge. Il s'ouvrit comme la porte précédente et Hank et Arkhas pénétrèrent dans un vaste jardin. Hank, ébahi, s'arrêta net et regarda tout autour de lui. Le jardin s'étendait à perte de vue. Il possédait un gazon riche et touffu, parfaitement taillé mais qui présentait la particularité d'être argenté au lieu du vert des pelouses traditionnelles. Au milieu de cette pelouse d'argent, de larges allées se croisaient et s'entrecroisaient. Elles étaient faites d'une multitude de petits cailloux lumineux qui brillaient intensément. Le long de ces allées de lumière, d'immenses colonnes d'or s'élevaient et se ramifiaient. Hank mit un peu de temps à comprendre que c'étaient des arbres. Il fut littéralement ébloui par l'ineffable beauté de ce lieu. Il se retourna pour exprimer son indicible admiration devant ce prodige horticole quand il aperçut l'étrange bâtiment dont il venait de sortir. Il fut encore plus fasciné : ce bâtiment avait une imposante base dodécagonale entièrement en or. Elle brillait de mille feux sous les chauds rayons du soleil d'été. Elle était surmontée d'une tour lumineuse à chacun de ses sommets. Les tours s'élevaient comme des flèches vers les cieux à une hauteur d'une centaine de mètres. Au centre du toit, un immense feu brûlait. Mais au lieu d'être jaune, orangé ou rouge, il était entièrement vert et dessinait un visage humain. La pointe de chaque tour était recouverte d'une étrange substance rouge. Arkhas, voyant l'admiration du jeune homme, dit d'une voix profonde :
-La base en or représente la vérité, le feu vert au visage humain symbolise Aziel et les douze prophéties, les colonnes de lumière représentent les douze prêtres qui s'efforcent d'apprendre aux hommes, symbolisés par le rouge sur les colonnes.
-Ce temple est magnifique, répondit Hank d'une voix faible.
-Viens, il faut commencer ton éducation.
-Mon éducation ?
-Oui. Je ne vois pas comment tu pourrais répandre la lumière sans aucun pouvoir.
-Des pouvoirs ? Vous pouvez préciser ?
Arkhas joignit ses mains à hauteur des yeux, psalmodia rapidement des paroles imprononçables et devint invisible. Il réapparut quelques instants plus tard, le sourire aux lèvres.
-Avant de réussir à faire ça, il va falloir que tu travailles beaucoup, précisa Arkhas. Commence par ne plus penser, imagine un immense lac blanc. Reste comme ça quelques secondes puis croise tes majeurs avec tes annulaires. Ensuite dit deux fois : *Imprezia|$.
Hank eut beau essayer une dizaine de fois, il ne parvint à rien. Arkhas commençait à l'énerver avec ses encouragements paternels : continue, tu es sur la bonne voie, aller, persévère.